Association de Transplantés Pulmonaires
On a nous demandé de vous parler surtout de notre vécu, de ce que nous avons ressenti. Ce que je vais tenter
de faire, mais je tiens cependant à préciser qu’il ne s’agit que de mon expérience, une parmi tant d’autres.
Voici l’avant, le pendant et l’après.
Tout commence avec un emphysème et la terrible toux du fumeur et les remarques « attention tu vas cracher tes
poumons » me disait-t-on alors de façon prémonitoire.
Ensuite se sont 36 petits obstacles qui deviennent de plus en plus dur. On commence par prendre escalators
et ascenseurs là où il n’y a que quelques marches à monter. Mais de plus en plus ces marches vont se transformer
en Himalaya. Et plus tard, pire encore, une souffrance, où on arrive à l’étage complètement essoufflé et à la
recherche d’Oxygène avec une respiration haletante comme si on venait de terminer un marathon.
Quand je travaillais, mon bureau n’était qu’à 15 min de marche de la gare et cela constituait pour moi ma petite
balade matinale par tous les temps. C’était mon alibi sport-je ne fais pas beaucoup de sports mais je marche « beaucoup ».
Pourtant arriva le temps où ces 15 min devinrent 20 pour ensuite être remplacées par le métro, malgré le détour effectué
par ce dernier.
On commence alors à se poser des questions et je me décide à aller voir un spécialiste le professeur Rodenstein, pour
ne pas le nommer Nous sommes en 2004. Le professeur fut le point de départ et le moteur de toute l’aventure.
Il n’était pas encore question de greffe mais de revalidation pour me stabiliser voire améliorer quelque peu ma capacité
respiratoire. Rien n’y fait fin 2005 il m’annonce que la seule solution est la greffe. Alors le monde s’écroule autour de moi,
la douche froide. Pour moi la greffe était l’opération suprême. J’avais toujours en tête le docteur Barnard avec ses
transplantés qui mourraient après 15 jours, bref qui ne survivaient pas longtemps.
C’est en sortant d’une de ses consultations qui je vis un stand d’information sur le don d’organe dans le grand hall de St Luc,
et j’y rencontrai mon premier greffé pulmonaire qui avait l’air de bien se porter. Patrick Forrer, c’est bien lui, devenu
ami depuis, me parla avec tant de verve et de détails sur la transplantation qu’après cinq minutes je lui demanda un siège
et un verre d’eau.
Janvier premier séjour en clinique pour une crise aigue de BPCO (il y en aura trois avant la greffe : chaque fois 15 jours
de cure d’Oxygène, de Kiné respiratoire et d’aérosols divers). En février les examens pré-greffe, à Montgodinne sous
la houlette du professeur Delaunoy. Ce qui ne fut pas une sinécure (les examens bien sûr pas le professeur)et ensuite
l’inscription suivi par six mois de souffrance, de plus grande dépendance à l’Oxygène en me disant que si l’opération
n’arrivait pas plus vite j’allais mourir étouffé.
Cette souffrance est souvent difficile à expliquer au gens dit normaux. Souvent même les plus proches ne se rendent pas bien
compte de ce qui se passe en nous. Car respirer est une chose si normale, si automatique tellement évidente que l’on n’y
pense même pas. En plus on ne voit pas la maladie, il n’y a pas de fièvre, certes nous n’avons pas bonne mine et encore.
Je me souviens être parti en vacances, et fait de belles ballades…en chaise roulante et d’être revenu légèrement bronzé.
Alors cela faisait drôle d’entendre les gens dire : mais tu as bonne mine donc tu vas mieux. Alors que cela allait de mal
en pire. Je devins aussi de plus en plus dépendant de l’apport d’Oxygène avec toute les angoisses que cela comporte et
on se demande jusqu’où cela va aller, c’est comme la drogue ou l’alcool : on commence par un joint ou un verre pour
progressivement prendre des substances de plus en plus forte et ce jusqu’à la mort. J’avais l’impression que mes poumons
étaient comme un arbre que l’on élague dont on coupe progressivement les feuilles, les petites branches puis les grosses.
On compte ses respirations. On pense avec terreur au jour où cet Oxygène n’arrivera plus à destination éteignant ainsi
la lumière de la vie, le noir. La peur de la souffrance de la mort par étouffement est omniprésente.
Et puis arrive le jour J, avec le coup de fil tant attendu de Montgodinne, le 7 septembre 2006. Certain l’appelle le coup
de téléphone salvateur, moi je dois l’avouer je n’étais pas fier et après une belle montée d’adrénaline j’avais le
trouillomètre en hausse. Mon dernier souvenir avant quasi 48h de sommeil était le placement d’un Baxter aux urgences
ensuite plus rien le trou noir !
En émergeant je ne reconnu plus grand-chose, je ne vis que des yeux penché sur moi. Des regards, certains familiers,
qui me scrutent, s’inquiètent, se préoccupent, me sourient, beaucoup de regards de femmes. Je me dis alors que c’est
beau les yeux d’une femme qui sourie. Tout doucement s‘effectue mon atterrissage sur terre et après un certain temps
premier réflexe, première angoisse est ce que je respire. Oui, les autres ne m’ont pas raconté d’histoires, je respire tout seul.
Suivi alors un séjour d’une dizaine de jours en soins intensifs. Pas la meilleure expérience. Pour le peu que je m’en souvienne :
il n’y avait pas moyen de dormir convenablement sur le dos. La nourriture était infâme et puis bien sûr il y avait les
douleurs et ces foutus drains. Je tiens à dire que le personnel soignant était au petit soin ….sauf et comme partout il y
avait la méchante. Je me disais mais nom d’un pétard qu’est ce que je lui ai fait. Et le pire, c’est que je n’arrivais pas
à m’exprimer, les mots s’entrechoquaient dans ma bouche n’en sortait qu’un gargouillement incompréhensible.
Et alors que dire de cette chère morphine et sa petite pompe à injection. Drogué jusque derrière les oreilles il m’arrivait
d’halluciner, je voyais des gens entrer dans ma chambre par une petite porte à droite…il y avait ni de gens ni de portes
à droite. Que dire aussi de cet ours qui me rendait régulièrement visite, il n’avait pas l’air bien méchant avec sa couleur
bordeaux. Je crois qu’il y aurait un beau sujet d’étude pour notre psychologue, Kim Bardiau.
Il y avait également toutes ces machines que je ne voyais pas, mais que j’entendais derrière moi. Des bip bip et on se met à
gamberger en espérant que ces bip bip ne se transforment en tuuuuuuut comme dans les films.
Après avoir vécu le pire du pire, c’est-à-dire le retirement des drains, je ne savais pas que l’on puisse avoir si mal, me
voici transporté en chambre stérile avec sas pour permettre aux visiteurs de se déguiser et mettre le fameux masque.
Je vais y vivre quelques semaines. Trois semaines après l’opération commence un réapprentissage de la vie. Le dernier drain est
parti et je dois petit à petit retrouver une certaine autonomie, il faut réapprendre à marcher avec des situations comiques car
le lève toi et marche n’est pas aussi facile et la première fois je me suis flanqué par terre, ensuite c’est en me mettant à
genoux pour chercher quelque chose dans le frigo que je me suis retrouvé coincé à quatre pattes ne sachant plus remonter dans
mon lit ni atteindre la sonnette pour demander de l’aide. La patience, la gentillesse, l’exigence et la persévérance de l’équipe
kiné de Françoise Montulet me furent indispensable dans la rééducation physique de ma nouvelle vie. Tout comme la gentillesse
de la plupart des infirmières.
Après six semaines, je pu rentrer chez moi, non sans une certaine appréhension de quitter l’environnement sécuritaire de la clinique.
Me voilà donc rentré chez moi. Désormais je revois le visage de tous les miens. Par contre c’est moi qui sort masqué et ceci
pendant six mois. Il a fallut habituer les commerçants à commencer par mon banquier. Notez, il y a bien des avantages à
caractères sociaux. En effet, quelle belle occasion d’engager la conversation pour expliquer la situation. Un jour, à Bruxelles
une vieille dame m’a accosté pour me dire que j’avais bien raison de mettre un masque car cela puait trop en ville.
Les premier mois j’étais euphorique : je vivais, je respirais j’avais tant de chose à rattraper. J’étais devenu tellement
bavard que je fatiguais mon entourage…paraît-il.
Au début il y a les contrôles : d’abord hebdomadaire, puis bimensuels etc. Après les 3 premiers mois vint ce que j’ai appelé
le gros entretien, idem à six mois et à un an. Ensuite cela s’espace de plus en plus.
Au début ces contrôles sont rassurants, du moins quand tout va bien. Le moindre problème est vite décelé. Plus tard, on en
fait une compétition, en essayant de toujours augmenter les performances le pourcentage de capacité respiratoire et puis
le test des 6 minutes combien de mètres en plus à chaque fois. Tout restant conscient qu’un jour cela va fatalement stagner.
Les docteurs Evrard et Bulpa nous demandent de faire de l’exercice et ils ont bien raison. Moi qui n’ai jamais fais de sport
je me suis inscrit dans un club de Fitness près de chez moi et maintenant c’est devenu une drogue. J’y vais trois fois par
semaine pendant 1 à 2 heures, je fais du vélo, de la musculation et de la natation. Je sais on ne voit pas grand mais
c’était pire avant. Et cerise sur gâteau j’ai fait partie de la petite équipe de greffés de Montgodinne qui a participé aux
jeux européens sportifs pour transplantés cœur et poumons qui se sont tenus fin juin à Vichy. Et j’ai ramené deux médailles:
l’or pour le 100m brasse et le bronze pour le 50m brasse.
Et je vais de mieux en mieux malgré les effets secondaires de tous nos médicaments cortisone et autre. Pour la première fois
depuis longtemps j’ai passé l’hiver sans voir de médecins.
Une de mes nièces de 27 ans m’a fait un superbe compliment lors des fêtes de Noël : « Restes comme tu es maintenant, car on aime
le nouveau Vincent ». Oui le nouveau, c’est comme une nouvelle vie. Comme les chats, j’ai peut-être droit sept vies et je suis
en tout cas déjà dans une deuxième. Une deuxième chance, que demander de plus à 50 ans.
Vincent Donnet
Fait à Rixensart le 15 avril 2008
et prononcé lors du colloque « Dons d’organe et transplantation au quotidien » organisé dans le cadre des 10 ans d’Oxygène à Mont-Godinne le 18 avril 2008